Utopistes debout!

Certainement blasés par l'époque et dorlotés par son ronron printanier, ou bien refroidis par les fades commémorations d'une révolte appartenant à l'histoire-musée, les espoirs révolutionnaires semblent bien enfouis dans les coeurs des insurgés. En tout cas contenus. Comme s'il ne fallait pas espérer trop fort, comme si nous étions contraints par une sorte de superstition que l'on pourrait résumer ainsi : plus j'y crois moins ça arrivera (et inversement). Il faut dire que beaucoup ont le souvenir amer de moments où tout semblait coller, où les colères paraissaient converger et où les convictions intimes se répétaient inlassablement : "cette fois c'est là". Pourtant mai se dresse fièrement devant nous, plus indocile qu'à l'accoutumée. 

Et malgré les énièmes rappels à l'ordre, il y a comme un parfum d'insurrection qui plâne au-dessus des gaz lacrymogènes et de la puanteur habituelle des médias anxiogènes. 

Car oui, comme à chaque fois, les informations et les expressions calibrées des JT et des éditoriaux d'accord entre eux se veulent démobilisatrices. Et dans le même mouvement d'originalité, les derniers évènements sociaux sont présentés vaillamment sous l'angle de la prise d'otage et des libertés individuelles bafouées par des grévistes empêcheurs de tourner en rond. Rien de nouveau sous le soleil macronien. Des interviews "d'usagers mécontents", des reportages sur la "pagaille" (expression assermentée), d'autres sur ces "centaines d'étudiants privés d'examens". Celle-là elle est bien bonne quand même. Etre privé d'examen... merde, sale histoire. 

Oui les journalistes obéissants se portent toujours garants du bon ordre capitaliste. Ils veulent écouter et faire porter la voix de ceux qui ne veulent rien changer, de ceux qui s'insurgent contre les insurgés, de ceux qui aiment être à l'heure dans leurs boulots de merde, la parole des jeunes réac et des vieux cerbères. Mais ce ne sont pas des robots privés de libre-arbitre agités par la main invisible d'un obscur complot. Ils agissent selon leurs intérêts, ce qui est a priori assez normal. Et ils ont intérêt, tous comme les élites politiques et financières, à ce que rien ne change. En tout cas à ce que rien ne révolutionne. Et comme dirait Lordon, s'il y a bien une prise d'otages c'est celle-ci. Celle de ceux qui se battent pour l'inertie, qui aiment ce système et souhaitent le pereniser. Ils veulent bien qu'il y ait des ajustements, changer la tapisserie une fois de temps en temps mais pour rien au monde ils démoliraient la demeure pour en construire une neuve. Ils y sont trop bien. Alors ils moquent les alternatives, les étouffent, les ridiculisent. Ils vérouillent. Les pensées surtout. Leur prêche quotidienne est le flingue sur la tempe de notre enthousiasme et de nos espoirs. 

Mais heureusement pour nous leurs discours sont si poncés et leurs méthodes si grossières qu'elles sont connues de tous ou presque dorénavant. Avant elles nous blessaient, nous désorganisaient. Aujourd'hui elles nous touchent, mais c'est pour nous enflammer davantage. Même la tête froide, les coeurs sont en combustion. Ce parfum de révolte ne se dissipe pas. Et même si les gens ne se le disent pas, ils le sentent, il y a quelque chose ans les regards. Malgré le calme apparent, l'espoir est bel est bien là et la mèche est longue. 

Les cheminots étaient surmotivés il y a encore deux jours alors qu'une semaine avant BFM parlait déjà des "millions de billets de la sncf à prix réduits, signe avant-coureur d'une sortie de crise". Les étudiants continuent de bloquer les facs et débloquer les débats en multipliant les AG, les conférences et les actions. Les profs d'un lycée de Dordogne ont créé une cagnotte pour aider les cheminots en grève de leur région. Car si au début les attaques vulgaires (et vieilles comme le monde) contre les cheminots  faisant d'eux l'origine de tous les maux ont pu passer, force est de constater que ce discours se dissipe maintenant dans l'atmosphère comme un pet de vegan dans une soirée barbecue. La solidarité est déjà là, palpable. Chacun commence à percevoir l'ampleur des attaques,  le service public en 1ere ligne. 

Alors il est temps d'avoir à nouveau confiance, de croire dans les potentialités, d'alimenter les colères car elles sont légitimes, de gueuler nos envies et nos espoirs, car ils balaient en une seconde leurs contre-attaques. 

Changeons tout, retournons tout. 

Allumons les feux.

Et ça ne se fait pas à genoux.  

Utopistes, debout.

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