Mélenchons-nous

"De tous les moyens de leur faire droit, le moyen électoral est peut-être le plus imparfait, parfois même le plus trompeur. Mais, sans pléonasme ni mauvais jeu de mots, un moyen médiocre vaut mieux que pas de moyen du tout."

(F. Lordon)

 

« La gauche ne peut pas se retrouver dans des élections dont l’organisation est une violence contre tous ses membres. Le boycott des élections est donc la seule position logique de gauche aujourd’hui. 

Ce n’est pas la mienne. J’estime que quand bien même nous serions la grande majorité à boycotter ces élections, son gagnant continuerait à nous maltraiter avec la morgue qui caractérise tous ces gens. Rien ne changerait et tout continuerait dans cette pente mortelle dans laquelle nous somme entrainés depuis des lustres. »

(Jer, chroniqueur de Hiya)

 

Malgré la forme, ceci est un appel très sérieux (et très tardif).

Je reviens au vote une nouvelle fois pour l’échéance présidentielle.

J’oscille. À la fois le système électoral tel qu’il est ne me convient pas du tout. À la fois je vis dans ce système et en suis membre malgré moi. Anarchiste à temps partiel, islamo-gauchiste modéré, révolutionnaire en Air max.

Et si je reviens participer au carnaval avec les fous c’est pour une simple raison : le pragmatisme. Mot que je fuis tant que je peux habituellement car il scelle forcément que l’idéal ne peut se mouvoir en réalité. Mais terme implacable et même maitre-mot des festivités électorales. Alors, de retour dans le game, je vais y aller à fond. Quitte à renier certaines positions passées, les menaces sont trop grandes.

Quand j’évoque le "pragmatisme" je ne parle pas de voter pour un candidat  qui aurait un "programme pragmatique", expression hautement détestable, mais bien de voter de manière pragmatique.

C’est à dire de voter pour le programme qui s’approche le plus de mes valeurs, de mes convictions et qui, parmi les offres ressemblantes et associées, a le plus de chance de s’imposer. J’insiste sur le mot "programme" et non sur celui de "candidat".. Car plus encore qu’à l’accoutumée, cette confusion, volontaire ou non, permet d’engendrer des disqualifications et des opprobres à la fois disproportionnées et irresponsables.

Le pragmatisme donc. Le vote utile, efficace.

 

Mélenchon sans l’ombre d’un doute.

 

Logique et sans claquage de genoux. Pas de tergiversations. J’ai fait les démarches administratives pile le dernier jour pour participer à la sauterie, c’était pas pour voter pour un délégué de classe, désolé Yannick.

 

"Ah nan! Moi je déteste Mélenchon!"

Cette phrase, répandue dans mon entourage, et dégainée souvent avec aplomb, m’a toujours interpelé. On vient de passer 5 ans sous Macron 1er. Sa police a tabassé, mutilé, éborgné des gilets jaunes. A tel point que le simple acte de manifester est devenu dangereux. Entre autres dégueulasseries, il a supprimé l’ISF, fait voter la loi travail, la loi « anti-casseurs » (loi scélérate par excellence), la loi sécurité globale (véritable boite de Pandore de la surveillance autoritaire), la loi sur l’assurance chômage qui affaiblit et précarise davantage les plus pauvres, la loi sur les séparatismes et lancé les réformes pour une école contrôlée et managerisée. Accessoirement il a fait également voter cette saloperie de pass sanitaire. En d’autres termes la macronie a rafalé les libertés et caressé les bourses des possédants comme aucun autre pouvoir ne l’avait fait avant lui ces dernières décennies. Sans complexe. Avec cynisme, froideur et dédain. C’est un flingage en règle et à bout portant…

Mais pourtant... on entend des « je déteste Mélenchon ».

Vous me direz, l’un n’empêche pas l’autre. Mais je trouve ça curieux qu’après un quinquennat outrageusement liberticide et si ouvertement favorable à vieille bourgeoisie, la première chose qui sorte de certaines bouches soit « je déteste Mélenchon ». A croire que le travail de sape médiatique a gagné du terrain, converti les méfiants, conforté les convaincus.

 

Il ne s’agit pas de dire que Mélenchon est le candidat parfait et qu’il n’est pas critiquable. Il l’est. Mais ne ne nous y méprenons pas. La charge médiatique que subit Mélenchon depuis 10 piges est sans commune mesure avec celle des autres candidats. "Pro-Chavez, pro-Poutine, dangereux communiste, mégalomane, arrogant, agaçant, populiste..". Si quelques critiques sont clairement justifiées, beaucoup n’émanent que de médias bourgeois apeurés, s’inquiétant davantage du sort des riches que de celui des quartiers populaires. Oui moi aussi je vais vite, le temps presse. Mais globalement c’est ça. Je me rappelle du traitement de Marine Le Pen et de celui de Mélenchon à une semaine du 1er tour 2017. C’était criant. La gauche radicale de Mélenchon inquiète beaucoup plus les dominants que les saillies racistes de M. Le Pen. Et le bloc bourgeois ne s’y trompe pas, il joue même cartes sur table. Le fameux Raphael Enthoven, philosophe de cour et de circonstances, glapisseur régulier de France Culture à Europe 1 déclarait fièrement sur Twitter en juin 2021 : "S’il fallait choisir entre les deux (Le Pen ou Mélenchon), et si le vote blanc n’était pas une option, j’irais à 19h59 voter pour Marine Le Pen en me disant, sans y croire, « plutôt Trump que Chavez". Tout est explicitement dit.

 

Alors que Mélenchon soit agaçant, brailleur et même autant politicard que ceux qu’il dénonce, je m’en carre pas mal. Il est un moyen.

Mais qu’on le critique sur ce qui a lieu d’être : son programme. Et pour ceux qui s’y sont intéressés , c’est le seul programme de gauche qui propose à la fois des mesures économiques, sociales et écologiques qui ont de l’envergure et du relief. Les associations écologistes ne s’y sont d’ailleurs pas trompées. Le type peaufine son programme depuis 2012 et ses propositions en la matière sont devenues de plus en plus précises et concrètes au fil du temps.

 

Par ailleurs cette année, bien plus encore qu’en 2017, le fascisme est à nos portes. La bollorisation du groupe Canal a propulsé le candidat d’ultra droite, Eric Zemmour, par l’intervention de troubadours complaisants (Hanouna), ou de la chaine d’extrême droite CNEWS. Mais sa présence n’aurait pas été possible non plus sans l’aval des journalistes mainstream bien comme il faut, trop excités de recevoir la bête et de commenter en boucle les propos qu’il vomit sans discontinuer. Cela n’aurait bien évidemment pas été possible sans les flirts fascistoïdes de la Macronie. Elle les aime bien finalement les fascistes, ça lui permet de se convertir en rempart de la République tous les 5 ans. Alors elle les cultive. Mieux, elle crée les conditions de leur prolifération. Tabassage de migrants, négation de l’existence des violences policières, mise en place d’une techno-police au service d’un ordre de plus en plus autoritaire… Des ministres qui parlent « d’ensauvagement », « d’islamo-gauchisme », qui se rendent à des manifestations de syndicats policiers d’extrême-droite et qui trouve « Marine Le Pen un peu molle ». Les termes du débats ont été extrême-droitisés et témoignent de certains de nos abandons et de nos échecs (mais j’y reviendrai bientôt). Ainsi, le « grand remplacement », théorie mettant en avant la hiérarchie des races et le soit-disant remplacement des populations blanches, est discutée très tranquillement sur les plateaux télé, entre le pouvoir d’achat et le dessert. La pauvre Valérie Pécresse elle-même l’utilise comme si on avait le droit. Bande de fous irresponsables. La fenêtre d’Overton est grande ouverte depuis des mois et l’infâme Zemmour, jamais avare en ignominie et en verbes haineux, a fait passer la raciste Le Pen pour une humaniste sympathique. Merci aussi à Karine Le Marchand. On t’oublie pas.

D’un côté, on a donc la Macronie qui a déjà montré tout ce qu’elle était capable de faire en 5 ans. Et on peut lui reconnaitre qu’elle nous a bien pété la gueule. Elle ne se cache même plus. Plus besoin de déguisement pour les prochaines étapes. Adoubée depuis des mois par des sondages qu’elle ne réclamait pas, elle y croit dur comme fer et enchaine les annonces de « réformes ». Retraite à 65 ans, chômeurs méprisés, RSA conditionné, profs managerisés… Nul besoin d’enrober les balles dans du velours orwellien. Elle se dit que c’est du tout cuit.

De l’autre on a deux candidats d’extrême-droite à 33% en cumulé. 33%.

Un an et demi que les médias autorisés nous conditionnent et nous promettent un second tour Macron Le Pen. Nous blasent et nous invitent à tout sauf à la lutte. Comme une petite musique lancinante qui couine dans tes oreilles une fois tous les deux jours « c’est comme ça mon gars et tu peux rien y faire ».

 

Enfin, dans un troisième coin, l’alternative « de gauche ».

Hidalgo (rires dans l’assemblée), majorette à tendance narcoleptique, porteuse d’une étiquette « PS » qui était déjà obsolète il y a 10 ans. 2%.

Yannick Jadot, l’écolo que le système adore. Propre sur lui et loin de la radicalité d’une Sandrine Rousseau, candidat parfait pour une figuration verte. 4%.

Fabien Roussel, le communiste mais pas trop, qui la joue « t’inquiète poto moi aussi je graille des steaks et je vais au meeting d’Alliance (syndicat policier d’extrême droite) parce que je suis un bon républicain. 2,5%

Philippe Poutou, la mascotte essentielle. Meilleur blaze. Il est pas là pour gagner quoique ce soit mais pour tenter de réduire l’ouverture de cette foutue fenêtre en mitraillant de l’autre côté sans filtre ni concession. Un soldat qui revient à chaque saison pour les empêcher (un peu) de tourner en rond et cracher dans leur soupe. Chouchou incontestable malgré ses 1%.

Nathalie Arthaud. Moins funky mais régulière et cohérente. 0,5%

Jean-Luc Mélenchon, brailleur certes, en place depuis trop longtemps, parachuté à Marseille comme un bon vieux briscard mais… dispose d’un programme solide et abouti, élaboré et amélioré depuis 10 ans. La gauche, la vraie. 17%

 

Comme dirait l’autre, la question est vite répondue.

Le véritable vote utile est celui qui offre la possibilité d’une alternative à la startup nation et qui se dresse contre le fascisme.

Faire barrage à l’extrême droite oui mais pas selon leur scénario.

Au premier tour avec Mélenchon.

Il n’est ni mon héros ni la providence. Mais il est celui qui peut.

Alors il aura mon vote, sans l'ombre d'un doute.

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