Lettre à Matthieu Kassovitz

Cher Matthieu,

Je ne pensais pas t’écrire un jour, et encore moins à ce sujet. Alors que ce soit dit une bonne fois pour toute, tu es un grand réalisateur et un très bon acteur. Et comme beaucoup de personnes de mon âge, biberonnées au hip-hop et à l’antiracisme épidermique, ton film La Haine m’a profondément marqué, inspiré, et accompagné. J’avais 12 piges en 1995 et je me le suis pris de plein fouet. Un pur impact. J’ai encore les répliques incrustées dans le crâne et je marche systématiquement dans les escalators. Mais si je prends toutes ces précautions pour rendre hommage à ton oeuvre, c’est parce que tu nous as chagriné (et pas qu’un peu) et que la salve qui arrive derrière va être monumentale. Et putain tu le mérites. Je me rappelle des propos de Romain Duris répondant à un journaliste qui l’interviewait sur ses rôles et l’image "cool" qu’ils renvoyaient : " Moi j’suis pas un mec sympa. Je suis pas cool dans la vie et j’ai pas envie de l’être pour te faire plaisir" (c’était à peu près ça). Ça m’avait marqué. Même si finalement l’idée est simple : un acteur n’est pas les rôles qu’il incarne. Tout comme le talentueux réalisateur d’un film apparemment engagé peut s’avérer être un vieux réac’ et la sentinelle du macronisme le plus purulent.

J’te vois déjà en train de brailler sur twitter que tu « t’en bas les couilles » et que je n’existe pas. Écrire un jugement à l’emporte-pièce, flinguer sans savoir, mais flinguer quand même. Balancer ta rhétorique faiblarde et fadasse digne d’un ado de 16 ans qui découvre qu’avoir un avis c’est cool. Et le tien tu le vomis à longueur de tweets. A tel point qu’on se demande si c’est pas devenu ton job. Une miauleuse réactionnaire drapée dans les vieilles sappes d’un réalisateur qui jouait les subversifs. Car c’est là que tout ça se croise et que nous on a envie de te gifler. De te secouer la trogne. La Haine..? Tu nous as bien eus Matthieu. Tes personnages, ton décor, le propos.. ce n’était que de l’esthétique finalement. Un joli coup. Car comment se pourrait-il que tes colères (par celles de Saïd, Vinz et Hubert) aient été sincères quand tu deviens un énième cerbère du macronisme? Tu lui aspires tellement le boul’ à longueur de tweets que t’as choppé des hémorroïdes sur la langue. Souffle un peu. On ne fait pas de révolution à l’extrême-centre, tu peux te reposer et garder un peu de bile. Le Chant du Loup? Je ne sais pas ce que vaut le dernier film dans lequel tu joues. Mais ce que je sais c’est que tu n’as ni l’étoffe ni la grâce de ce noble animal. Par contre tu coches toutes les cases du chien de garde assermenté. Que t’est-il arrivé Matthieu? Que s’est-il passé pour que la seule haine qui t’anime soit celle du peuple qui ose enfin dénoncer l’inacceptable? Tu ne vis pas parmi nous et tu crois que les excréments que tu déposes sur twitter sont paroles d’évangile. Tu aboies avec tout ton chenil que les gilets jaunes sont des beaufs et des fascistes. Tu n’as pas mis les pieds dans une manif, ni pris le temps de sortir de ton déversoir virtuel pour parler avec ce peuple que tu critiques, mais tu continues de répandre ta haine à son encontre. Tu relaies sans complexe les tweets de ce laquet ordurier de Jean Quatremer et les analyses serviles d’Alain Duhamel mais tu te méfies des enquêtes de Médiapart...? Curieux. Quand Fabrice Arfi (reporter médiapart) parle d’Alexandre Benalla, homme de main de ton président préféré, et publie les détails de ses entourloupes, de ses violences à ses dissimulations en passant par ses parjures, toi, gonflé à bloc, tu postes un vaillant.. "Et ?". Sors de tes rôles mec, c’est pas le bureau des légendes ici. On n’est pas à la DGSI et tu ne t’appelles pas Malotru. On ne peut pas dire et faire toutes les filsdeputeries au nom du "bien" et du gouvernement. Ton allégeance à Emmanuel 1er t’a semble-t-il fait perdre tout sens de la mesure et de la réalité.

Tu as récemment balancé, dans ton pot à vomi virtuel, qu’il est "temps de déclarer ce mouvement illégal"... Oui oui, tu as eu la subtilité d’écrire ça. Mais qu’est-ce que tu racontes mec? Je ne sais pas ce que tu t’enfiles comme substance mais elle t’a visiblement cramé 13 de tes 14 neurones et le survivant tourne en boucle. Rendre ce mouvement illégal? Tu veux donc qu’un mouvement social soit purement et simplement interdit par la loi..? Toi qui écris des déclarations enflammées sur la démocratie, presque aussi bien qu’une rédac de collégien qui veut faire plaisir au prof, ça ne t’a pas perturbé d’écrire une telle connerie? Tu sais comment on appelle un pays qui interdit à son peuple de manifester? Une dictature, Malotrou.

Tu n’étais visiblement pas habitué à te renseigner, te contentant surement de dépêches AFP ou du fil d’info Yahoo. Tu n’étais pas habitué aux articles de fond, à l’investigation, à ceux qui ne cèdent pas instinctivement aux sirènes de la manipulation, du journalisme de pouvoir ou à celles d’éditocrates certifiés conformes. Les enquêtes de Médiapart t’ont fait mal au crâne. Pour reprendre un commentaire que j’ai lu sous un de tes crachats twitterisé, qu’est-ce que ça va être quand tu vas découvrir Le Monde Diplomatique, Acrimed, Arrêt sur Image, et Lundi Matin..? Méningite assurée.

Et ta fixette sur Médiapart et les enquêtes qu’ils mènent résonne particulièrement salement quand on la met en face de ton silence sur les bavures policières. A peine quelques couinements bidons de ta part. Pourtant tu avais de quoi te renseigner, notamment en consultant les articles et les vidéos de David Dufresnes. Mais la violence d’état, celle commanditée par ton Macron qui t’en met plein la bouche, ne t’émeut pas. Malgré les gueules cassées et les gazages sans sommations, malgré les éborgnés et les tabassages à 9 contre 1, malgré les femmes trainées par les cheveux et les mains arrachées.. tu préfères hurler avec les canidés. En vérité tu as un profond mépris pour ce peuple que tu ne connais pas. Tu le moques, tu le regardes de loin, tu le caricatures et lui prêtes les intentions les plus viles et l’accuses des actes les plus dégradants. Comme de nombreuses élites bourgeoises, tu n’aimes pas quand il s’exprime. Peu importe pour toi que les types se crèvent la santé dans les usines pour une paye de misère. Peu importe que les femmes de ménage, les téléopératrices, les AVS, les ouvrières perdent leur vie a essayé de la gagner, pour moins de miettes encore que leurs homologues masculins. Ce n’est pas ton problème. Tu trouves ça dommage mais tu te dis surement que quand on veut on peut hein.. Combien gagnes-tu, subversif Matthieu? C’est quand ta "fin de mois", révolutionnaire macroniste?

Tu préférais le peuple muet, ça t’évitait de réfléchir à ta condition de dominant satisfait. Tu lui préférais sa décence ordinaire. Cette capacité à contenir sa rage malgré l’injustice, à respecter les règles sans trop broncher malgré les souffrances quotidiennes. Tu préférais quand il avait honte d’être pauvre et s’effaçait derrière la parole autoritaire des experts. Ce temps est révolu. Et toi t’es en roue libre. On attendrait de personnalités, notamment celles qui sont en haut de l’échelle, de la solidarité, du soutien, ou au minimum de l’empathie. On doit admettre que peu se sont mouillées. La peur de perdre des privilèges? Le retour de l’ISF..? Alors toi tu joues les soldats zélés, plus macroniste que le roi. Et tu gerbes ta haine du peuple sans modération. Un tweet m’étais particulièrement resté en travers de la glotte. Celui que tu avais adressé à Philippe Poutou, avec tout le dédain qu’un bourgeois peut avoir pour un ouvrier. "Bah quoi Philippe, tu voulais une mercedes et un smic à 2500€?"... Hummm... Un flot d’insultes me viennent en tête Kasso. Pile dans l’époque le type. Haine, cynisme et mépris. De l’extrême filsdeputerie. T’as toujours rêvé d’être un gangster Matthieu. Mais t’es en carton. Comme Félix dans Métisse. T’aboies, tu gueules mais tu fais pas le poids. Tu parades tellement avec ton chef d’oeuvre autour du cou, qu’on en a oublié de sonder ton âme et analyser tes grilles. Et du coup ça fait mal de saisir combien tu tapes à côté.

La seule souffrance qui semble trouver "grâce" à tes yeux c’est celle des banlieues, des quartiers populaires. Tu l’aimes, tu la fantasmes. C’est vrai que question abandon, injustice et mépris gouvernemental, on ne peut pas faire pire que ces quartiers, je suis bien d’accord. Et je le dénonce depuis que je suis en âge de le comprendre, le constater et le mesurer. En gros depuis L’Homicide Volontaire et Paris sous les Bombes. Mais là où tu as tort Malotrou, c’est quand tu sépares ces souffrances. La misère des banlieues versus la galère des gilets jaunes. La première est pour toi noble, juste, sincère, nécessaire, instinctive. Mais tu vois la seconde comme "une révolte d’enfants gâtés", des revendications de beaufs et de braillards, et dans le fond, injustifiée. Tu te plantes méchamment pour au moins trois raisons.

La 1ère c’est que de nombreux gilets jaunes habitent aussi en banlieue et que la séparation gilets jaunes / habitants des banlieues, est sociologiquement fausse.

Cette opposition vient d’un point de vue médiatique spécifique visant à segmenter les révoltes, à les isoler les unes par rapport aux autres afin qu’il n’y ait pas de lien. Ce contraste est particulièrement faux à Marseille où ces quartiers sont aussi au centre-ville (il n’y a pas que les quartiers nord). Et dans les émeutes qui ont eu lieu sur la Canebière fin novembre, début décembre il y avait aussi bien des gilets jaunes, que des survet’ de foot ou des kway noirs. Et toutes ces panoplies (caricaturales) étaient interchangeables.

Ensuite, on te rappelle et signale que différents collectifs issus des banlieues et notamment le collectif Adama (qui milite pour que la lumière soit faite sur le meurtre d’Adama Traore par la police) ont appelé à enfiler le gilet jaune et qu’ils ont manifesté avec ceux que tu méprises.

Enfin, cette tendresse particulière que tu as pour la révolte des banlieues, entraine chez toi une sensibilité à la violence qui est à géométrie variable. Et ça te pousse à vilainement te contredire, Maloboul. Voici ce que tu disais en 2015, à propos des émeutes de 2005 (article entier trouvable ici) :

« Quelles émeutes de 2005 ? Il y en a tout le temps des émeutes. J’ai toujours dit que 200 casseurs dans la rue font davantage avancer les choses qu’un million de manifestants. Un million de pacifistes, ça ne fait peur à personne, alors que trois connards qui pètent des magasins, le gouvernement se met à trembler. La réponse médiatique, c’est de dire que ce sont tous des voyous. Mais ce ne sont pas des voyous. Tu ne peux pas être un voyou quand tu risques de te faire taper par les CRS. Essayer de voler un T-shirt en risquant de te prendre un pavé dans la gueule, ce n’est pas un truc de voyou, c’est une réaction épidermique. Les émeutes, c’est la voix des sans-paroles. Quelqu’un qui a faim et qui vole, ce n’est pas un voleur. »

C’est édifiant. On met un gilet jaune et on drape la pauvreté dans une esthétique pas assez "banlieue" à ton goût et "les émeutes c’est la voix des sans paroles" se transforme en "tous ceux qui participent à ce genre d’actes sont des lâches et des criminels qui méritent d’être sévèrement punis". Aie aie aie..

Pour toi la révolte est d’abord esthétique. Si elle colle à tes codes et tes fantasmes, c’est validé. Mais si elle a la gueule d’un campagnard en gilet jaune, c’est de la beaufitude et du fascisme. T’as rien compris Malofion.

Tout comme quand, après avoir fini ton Royal Canin, tu hurles avec les cabots de ton équipe que les gilets jaunes, en plus d’être toutes les dégueulasseries dont tu les accuses, sont antisémites. Parce que tu te vautres comme un blaireau dans le traquenard de Finkielkraut. Ou parce qu’un pauvre connard d’extrême droite a posé une saloperie de tag sur un Bagelstein et que tous les "petits soldats du journalisme" l’ont attribué aux gilets jaunes. C’est intéressant, il y a eu deux infos "majeures" sur les gilets jaunes ce jour-là. Ce tag antisémite et la main arrachée d’un manifestant par une grenade GLI-F4. Une des deux infos était fausse. Tu as twitté la mauvaise, trop pressé de faire ta crotte 2.0. Ce tag avait été fait avant le passage de la manif des gilets jaunes. Vérifier les infos n’est pas ton fort. Tes indignations bouffonnes sur les plateaux télé nous avaient déjà alertés.

Alors tiens, en guise de dédicace :

C’est l’histoire d’un bourgeois qui aurait voulu être une caillera et qui tombe d’un mur Twitter de 50 étages. A chaque tweet il vomit sa haine et se rassure en se disant "jusqu’ici Macron va bien, jusqu’ici Macron va bien".Mais l’important c’est pas lutte, c’est son métissage.

Ouais c’est cadeau.

Je ne sais pas où mènera ce mouvement pour l’égalité, mais saches que nous n’oublierons pas que tu as soutenu ce gouvernement qui maltraite son peuple et écrase les plus pauvres. Nous n’oublierons pas que tu as fermé les yeux sur les dérives extrêmes de cet état policier. Nous n’oublierons pas ta complaisance et ta compromission. Et encore moins… ta haine.

Pour la suite j’te propose de te remettre à des activités concrètes.

Retourne blablater sur le 11 septembre ou enculer le cinéma français s’teuplait. Récupère un cerveau à l’occasion et un peu d’empathie, ça fera du bien à tout le monde.

D’ici là, vas bien te faire foutre.

Cordialement.

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