Zineb Redouane, l'état continue d'assassiner

C'était le 1er décembre 2018. Après une convergence entre l'acte III des gilets jaunes et la manifestation contre le logement indigne à Marseille, la flicaille était déchainée sur la Canebière, surprise que les insurgés résistent autant. Deux semaines auparavant, lors de la Marche de la Colère, les manifestants qui réclamaient la démission de Gaudin après les effondrements de la rue d'Aubagne, s'étaient déjà faits sévèrement réprimés. Lacrymos, flashballs évidemment mais aussi tabassage de personnes isolées par des baqueux qui avaient quartier libre et carte blanche. (Voir témoignages ici). Face à la répression et au mépris des dirigeants locaux et de leurs chiens de garde, il n'était plus question de baisser la tête et de courber l'échine. En tout début de soirée, les affrontements sont montés d'un cran, la violence policière n'ayant déjà plus de limite. C'est dans ce contexte, qu'une équipe de CRS plus zélée que les autres s'amusait à faire des tirs tendus avec leurs flashballs et canon à lacrymos (cette pratique est interdite mais en réalité très répandue dans les manifestations "un peu chaudes", comme c'était déjà le cas lors des manifestations anti-CPE de 2006). Un projectile a alors atteint le visage de Zineb Redouane, une vieille femme qui était en train de fermer ses volets, à l'angle de Canebière et du commencement de Noailles.  Elle est morte le lendemain des suites de ses blessures. Les médias pourtant si affables lorsqu'il s'agit de diaboliser les gilets jaunes ou de sauver le soldat Finkielkraut ont été bien peu bavards face à cet évènement et ont, dans leur écrasante majorité, relayée l'information officielle dictée par notre cher Christophe Castaner, à savoir que "Zineb Redouane serait décédée suite à un choc opératoire lié à ses antécédents médicaux". Pas du tout à cause d'un tir de flashball en pleine face, non non.

Alors que de "nombreuses zones d'ombres" (terme journalistique usuel) et des questions subsistent dans cette affaire, notamment la présence sur les lieux du crime (oui s'en est un) du magistrat qui sera dans un premier temps en charge de l'enquête, des conclusion hâtives des médecins français et des déclarations encore plus hâtives d'un ministre habitué aux mensonges et aux fausses déclarations (cf. La Pitié Salpétrière), cette affaire, sept mois après les faits, n'avaient jusqu'ici pas passionné les grands médias. Mépris de classe? Désintérêt pour les gens de peu? Journalisme de préfecture? Racisme ordinaire? Certainement un peu de tout ça mélangé. Toujours est-il que l'avocat de la famille, en accord avec la fille de Zineb Redouane a demandé un dépaysement de l'affaire le 12 avril dernier (voir ici), loin de la hâte, des passions, loin d'un contexte de contrôle et de rétention de l'information en pleine "crise des gilets jaunes". La semaine dernière, les rapports d'autopsie pratiquée par des médecins algériens, et datant du 25 décembre, étaient dévoilés. Et avec ces nouveaux éléments, difficiles pour les détourneurs de regards professionnels de ne pas traiter ce sujet. En effet, le Média a révélé ces rapports dans une vidéo.. Poussés à s'intéresser à ce qu'ils ne veulent ni voir ni entendre (comme David Dufresne les avait poussé à s'intéresser aux violences policières en général durant les manifestations des gilets jaunes) les médias mainstream ont été à nouveau contraint de faire leur travail de journalistes... C'est ainsi qu'on apprenait dans des articles d'Europe 1 et de France Info (voir ici) que la contre-expertise évoque ainsi un "important traumatisme facial imputable à l’impact d’un projectile non pénétrant (…) pouvant correspondre à une balle lacrymogène". D'après ce document, ce "traumatisme est directement responsable de la mort par aggravation de l'état antérieur". 

D'autre part, les 5 CRS ayant participé à ces tirs de grenade ont été identifiés. Mais étrangement, personne n'est capable de dire qui a tiré. Il aurait fallu pour cela que le lanceur de grenades soit analysé, mais comme le dit le capitaine de la compagnie de CRS, "Pour ne pas obérer la capacité opérationnelle de l’unité lors de cette période de mouvements revendicatifs intenses, je ne peux me démunir des cinq armes "Cougar" aux fins d’analyse », [...] sept mois plus tard, le lance-grenades n’a toujours pas été analysé : « des éléments de preuves indispensables ont ainsi été soustraits à la justice et altérés".

Le Média, le Canard Enchainé, Arrêts sur image et d'autres sont sur le coup afin que toute la lumière soit faite sur cette bavure policière qui ne fait désormais aucun doute.

NB : Un bon article de Libération sur le non-traitement de l'affaire par un certain Jean-Michel Apathique.

A lire ici : https://www.liberation.fr/debats/2019/07/07/aphatie-et-la-mort-de-zineb-redouane_1738580

 

 

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