2019, on n'oublie pas.

A l’heure des festivités et de l’hypocrisie des vœux en costume, à l’heure des outrances consuméristes et des premiers morts de froid, à l’heure des plans antigrèves proposés par les médias aux ordres, à l’heure des soldes et des bons plans sur le foie gras, à l’heure des bouffoneries télévisuelles et des pulls de Noël, à l’heure macroniste et des silences complices, nous, on n’oublie pas.

On n’oublie pas que 2019 a vu l’affirmation d’un état autoritaire et policier.

On n’oublie pas qu’un mouvement social réclamant plus de décence et de justice pour les invisibles a été réprimé par une police politique.

On n’oublie pas les yeux crevés et les membres arrachés.

Les yeux crevés et les membres arrachés.

On n’oublie pas les grenades GLI-F4, chargée de TNT et balancées allègrement sur des manifestants.

On n’oublie pas ce syndicaliste policier dire, en parlant d’une manifestante qui a ramassé une de ces grenades et qui a vu sa main arrachée, « c’est bien fait pour elle ».

On n’oublie pas les intimidations, les humiliations, les menaces policières.

On n’oublie pas les lycéens de Mantes-la-jolie, parqués à genoux, mains derrière la tête et encerclés de CRS.

On n’oublie pas ces tabassages filmés, par ces mêmes CRS (si ce n’est eux, c’est donc leurs frères). On n’oublie pas cette explosion de violence policière.

On n’oublie pas le Burger King. On n’oublie pas ce pavé balancé par un CRS. On n’oublie pas ce flic (Didier Andrieux) qui boxe un homme contre un mur. On n’oublie pas ces femmes trainées par les cheveux et ces hommes frappés à terre. A coups de rangers dans la tête.

On n’oublie pas ces journalistes indépendants, actifs sur le terrain et avec comme mission salvatrice de rééquilibrer une information totalement biaisée. On n’oublie pas leurs arrestations et les violences dont ils ont été (et continuent d’être) la cible.

On n’oublie pas que les violences policières en France contre le mouvement des Gilets Jaunes ont été condamnées par la cour Européenne des Droits de l’Homme, Amnesty International et Human Rights Watch.

On n’oublie pas que les chiens de garde macronistes ont balayé ça de la main.

On n’oublie pas que la police a assassiné Zineb Redouane à Marseille.

On n’oublie pas que la police a assassiné Steve Maia Caniço à Nantes.

On n’oublie pas et on ne pardonne pas.

On n’oublie pas le silence de la presse complice sur toutes ces violences policières. Omerta pendant plus de deux mois. Puis, contraints par le travail de David Dufresnes d’arrêter d’occulter et de mentir, on n’oublie pas comment ils les ont avouées du bout des lèvres, euphémisées et relativisées. On n’oublie pas qu’ils les ont systématiquement présentées comme une réponse à la violence de la rue, alors que c’était une consigne gouvernementale. Fermeté et chasse à l’homme. Faire peur, faire mal, dissuader.

On n’oublie pas que cette police zèlée n’obéit qu’aux ordres de ses maitres.

On n’oublie pas que les maitres en question se nomment Christophe Castaner et Emmanuel Macron.

On n’oublie d’ailleurs pas les mensonges de Castaner, notamment sur la prétendue attaque de la Pitié Salpêtrière.

On n’oublie pas les propos d’Emmanuel Macron sur les gaulois refractaires, ces gens qui ne sont rien, cette foule haineuse, Jojo le gilet jaune, le faux gitan (parce qu’il s’exprime bien) et bien d’autres…

On n’oublie pas, alors qu’une vieille dame (Geneviève Legay) venait de se faire bousculer et piétiner par sa police, qu’il déclarait simplement qu’elle n’aurait pas dû se trouver là. Manifestation interdite.

On n’oublie donc pas le recul significatif de la liberté de manifester par ces interdictions en série et surtout par la promulgation de la loi dite « anti-casseurs » qui a permis des milliers de contrôles et arrestations préventive. Rapport minoritaire.

On n’oublie pas l’armée mobilisée pour le maintien de l’ordre.

L’armée.

On n’oublie pas non plus les chars blindés. Des Champs Elysées à la Canebière. Des tanks. Dans les rues. Contre la population.

On se souvient alors avec douceur de la rencontre de ce transpalette avec les portes d’un ministère, de la boxe vengeresse d’un homme à bout, des tags séditieux et de Paris submergée.

2019, on n'oublie pas.
2019, on n'oublie pas.

On n’oublie pas que les mots ont un sens et que certains ont fait plus d’éclats qu’une grenade de désencerclement.

On n’oublie pas que Luc Ferry a appelé à tirer sur les manifestants.

On n’oublie pas que Zineb El Rhazoui a également appelé les policiers à tirer à balles réelles. C’est ce qu’on nomme un appel au meurtre non ?

On n’oublie pas la complaisance et la collaboration active des éditocrates et commentateurs avec un pouvoir répressif et liberticide.

A nouveau, on n’oublie pas leurs mots. Et on n’oublie pas leurs noms.

Know your enemy.

Ils s’appellent Pascal Praud, Bruno Jeudy, Eric Brunet, Jean Quatremer, Thomas Legrand, Jean-Michel Apathie, Léa Salamé, Laurent Joffrin…

On n’oublie pas qu’ils ont moqué, méprisé, insulté ces gilets jaunes. Tour à tour « antisémites », « factieux », « homophobes », « débiles »… répondant aux mots de leur maitre qui parlait lui de « foule haineuse ».

On n’oublie pas, de manière générale, le traitement par les médias mainstream du mouvement des Gilets Jaunes. Les interviews à charges ou condescendantes, les caricatures et la criminalisation.

On n’oublie d’ailleurs pas comment les derniers masques sont tombés.

On n’oublie ni les armes ni les mots.

Qu’ils frappent à coups de flashball ou qu’ils dézinguent à coups de commentaires outranciers et malveillants.

Qu’ils soient CRS, éditorialistes ou ministres.

On n’oublie pas que ce système ne tient que parce qu’il a des gardes fous. Des dévoués, des zélés, des sentinelles, des soumis.

Mais les dominants et leurs chiens de garde ne suffisent pas.

L’édifice ne tient que parce qu’une majorité le laisse tenir.

Il fut un temps où j’étais diplomate et compréhensif sur ce point. Mesuré. Par humilité et raison, car je considérais que mon engagement n’émanait que d’un point de vue, et que comme tout point de vue, il est discutable. J’estime dorénavant que les absurdités, injustices et indécences découlant d’un système capitaliste destructeur et menant aux extrêmes violences sociales que l’on connait sont actées. Elles sont orchestrées et découlent d’une volonté claire. Une guerre de classes dans laquelle les dominants veulent poursuivre leur enrichissement ou, dans le meilleur des cas, le maintenir, au mépris des vies dévastées, de la misère grandissante et cela par le biais de politiques autoritaires et sécuritaires orchestrées par des gouvernants complices. Warren Buffett le disait déjà en 2005, « Il y a une guerre des classes, c’est un fait. Mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre et qui est en train de la gagner. » Il ne s’agit donc plus d’un point de vue à relativiser en tant que tel, mais bien d’un fait. Le capitalisme tue, et il tue sciemment. J’aime quand les mots sont simples et efficaces et qu’ils ne s’embarrassent plus d’un « c’est plus compliqué que ça ». Ce n’est pas plus compliqué que ça. Le capitalisme tue sciemment. C’est un fait. Et contrairement aux points de vue, les faits sont indiscutables. La politique d’Emmanuel Macron s’inscrit dans ce vaste mouvement. On peut la nommer comme on veut, l’édulcorer tant que possible, elle tire à vue. Elle brade et crame, elle défait et brise. Le code du travail, le service public, les retraites, les vies. Au nom du profit, de l’optimisation, de la maximisation, au nom d’une vision bancaire et marchande du monde. Aux détriments des sans voix, des sans dents, de « ceux qui ne sont rien ».

Alors oui, l’édifice ne tient que parce qu’une majorité décide de ne jamais l’ébranler. Certains le critiquent et disent vouloir le voir s’écrouler mais, comme le disait Shurik’n, « Dresse des barricades et tu les verras tous hésiter ». Tous ceux qui ne se mouillent jamais parce qu’ils sont encore dans un confort relatif ou parce qu’ils peuvent gentiment vivoter. Tous ceux qui ne veulent pas le savoir et qui continuent de faire tourner la roue, comme des sympathiques hamsters. Tous ceux qui mettent en avant leur « liberté de travailler », leur « liberté de circuler » quand surviennent les grèves dont ils se disent « les otages ». C’est faire un bien piètre usage de sa liberté que de la brandir contre ceux qui luttent. C’est surtout collaborer. Et maintenir. On ne peut plus être à moitié. Cette époque est révolue. L’heure est aux radicalisations. Radicalisation politique (la loi du marché avant toute autre chose), radicalisation policière (chasses à l’homme, tabassages, gazages, mutilations), radicalisation médiatique (journalisme de classe et de préfecture, appel au matage des manifestants), et en réponse nécessairement, radicalisation dans la lutte contre ce système fossoyeur. Certains, au bout de deux semaines de grève (en réalité 2 ou 3 jours effectifs) se disent « fatigués » et ne veulent plus qu’un trouble-fête leur gâche la pause méridienne en parlant de l’état de la mobilisation, et des actions à poursuivre. Jamais on ne remet ce système en question mais on se sent fatigué au bout de deux semaines.. Jamais on ne stoppe la roue et quand on l’arrête un instant on n’attend qu’une chose c’est de vite y retourner pour ne pas perdre le mouvement. Il faudrait penser aux vacances, à Noël, aux soldes et oublier un peu ceux qui crèvent car ce n’est pas encore vraiment nous. Ne pas se faire mal au ventre ou à l’âme en pensant à toutes ces misères contre lesquelles on nous a toujours dit que nous étions impuissants. Il faudrait savoir rigoler et vivre. Lol.

Nous savons rigoler et nous ne sommes pas les derniers. Mais on sait aussi que « ceux qui vivent sont ceux qui luttent ». Et que ceux qui ne luttent pas, conscients pourtant de la politique mortifère de la Macronie, en sont malheureusement les cautions.

On n’oublie donc ni les dominant, ni leurs chiens de garde, ni ceux qui les laissent faire.

Ce n’est pas très rassembleur et stratégique comme déclaration. Mais c’est terminé de caresser les antigrèves dans le sens du poil et d’espérer un jour lointain les convaincre. L’urgence est là devant nous, sous nos yeux. L’espoir est dans le maquis, les discussions sont closes. Tu ne viens pas ? Tu ne veux pas que je te fasse culpabiliser avec mes discours moralisateurs ? Je m’en bats les reins. Je suis moralisateur. Culpabilise.

Bonne année.

2019, on n'oublie pas.
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