Lettre à un ami

Rien d’ironique dans ce titre, j’écris réellement ces mots pour un ami. Je le précise car il m’est arrivé d’écrire des « lettres » dans ce coin du net et elles étaient rarement dédiées à des personnes que je porte dans mon cœur… Ce n’est pas le cas ici, bien au contraire. Tu es quelqu’un de bien, que j’estime beaucoup, « une belle personne » (ça sonne comme une mièvre cotillardise, mais ce n’est que vérité). Je prends le temps de le préciser car ces mots qui sont pour toi mec ne seront pas toujours doux et moelleux. Mais ils ne seront ni une charge ni un règlement de compte boiteux et encore moins une leçon. Simplement un rappel à ta bonté, un stimulus à ta grande sensibilité mais qui me semble endormie par des mots, des théories et des discours déconnectés. Evidemment ce n’est que mon avis et tu en feras ce que tu en voudras. Je n’ai pas forcément raison (…) mais il me semble que sur ces quelques points, globalement, j’ai moins tort que toi ;-)

Viens ensuite la seconde précision. Pourquoi t’écrire ici ? Certainement pas pour avoir un public partisan ou pour transformer ce blog en arène. D’ailleurs les quelques lecteurs de ces publications irrégulières sont toutes des personnes bienveillantes, des amis et des frères. (je vous aime).

Nan j’écris ici car les discussions qui nous ont animés il y a quelques temps croisent des thèmes qui me tiennent à cœur et sur lesquels je voulais blablater. Une pierre deux coups. Ou plusieurs. Bref ces discussions et ces désaccords sont tombés à pic. Ça m’a remotivé.

 

Pragmatisme VS empathie

Lettre à un ami

C’est ce qui m’a sauté aux yeux ou plutôt aux oreilles lors de nos diverses discussions : ton pragmatisme à toute épreuve… Oui je sais c’est un mot qui revient beaucoup dans ma bouche et je le cale tous les 2 ou 3 articles… Et plus ça va plus je vais le caler. Il me terrifie. J’estime que le pragmatisme est le pire des abandons, l’œillère du dominant, un entretien passif du système et donc… une collaboration. Je n’y vais pas par quatre chemins, mais en même temps il n’y en a qu’un seul qu’on nous propose et plus que jamais je sais que je ne veux pas y aller. On a parlé politique, et dans notre XXIe siècle assez morose (morosité qu’on aime nous voir entretenir) le pragmatisme politique c’est l’art de ne vouloir rien changer, mais de manière scientifique. Et c’est tout l’attrait exercé par le pragmatisme : il se veut méthodique, réfléchi, équilibré. Mais il n’est que froideur, distanciation, mise à l’écart théorisée. Totalement inadapté pour réfléchir sur des problèmes humains. L’humain est chaud et changeant, unique et universel à la fois, perfectible, passioné, émouvant, dangereux, autodestructeur, créatif, chien ou loup, mouton ou berger, requin ou plancton et parfois même… suricate.

Lire des statistiques et les apprendre n’aidera pas à mieux le comprendre. Tout comme les gens ne sont pas des chiffres, leur réalité sociale n’est pas la courbe d’un graphique. J’imagine que ces documents ont demandé des heures de travail, des collectes de données et que la plupart ont été sortis par un institut « respectable ». Ça ne m’impressionne pas. J’échappe à leur pouvoir de fascination. Je ne dis pas que toute statistique et que toute étude est fausse ou inintéressante, ce serait une belle connerie. Nombreuses d’entre elles ont consolidées des travaux de sociologues ou philosophes auxquels je me réfère souvent. Simplement appréhender la vie sociale et politique que par le filtre de chiffres, de pourcentages et de tableaux me semble manquer de … réalité. Un pragmatisme qui mène à l’abstraction, c’est presque beau. Il n’empêche, le pragmatisme entraine la distanciation et donc le manque d’empathie. L’empathie…  Littéralement « souffrir avec », ça fait très pénitent, religieux bon marché mais c’est pour moi l’ingrédient essentiel. J’aurais pu lire 1000 études statistiques sur la scolarité dans les quartiers Nords, je ne l’aurais jamais aussi bien appréhender qu’en la vivant. J’aurais pu en parler et disserter, car blablater je sais faire, mais j’aurai trouvé appui sur de l’irréel, de l’impalpable.

Ca me rappelle un passage de Will Hunting (vu et revu, mais quel putain de film) où le psy, joué par Robin Williams (on t’aime) revient sur l’incident avec son patient, Will (Matt Damon), sorte de « genie » des quartiers pauvres de Boston. Et ça disait à peu près ça :

 

« Si je te dis de me parler d’art, tu vas me balancer un condensé de tous les livres sur le sujet. Michel-Ange, tu sais plein de trucs sur lui. Sur son œuvre, sur ses choix politiques, sur lui et sur le pape, ses tendances sexuelles, tout le bazar quoi. Mais je parie que ce qu’on respire dans la Chapelle Sixtine, son odeur, tu connais pas. Tu ne peux pas savoir ce que c’est que de lever les yeux sur le magnifique plafond. Tu sais pas.

Tu es un coriace ; si je te faisais parler de la guerre c’est probablement tout Shakespeare que tu me citerais « Une fois de plus sur la brèche, mes amis ! ». Mais tu n’as pas vécu la guerre. Tu n’as jamais tenu contre toi ton meilleur ami. Tu ne l’as pas vu haleter jusqu’au dernier souffle avec un regard qui implore.

Si je te fais parler d’amour, tu vas probablement me dire un sonnet. Mais tu n’as pas connu de femme devant qui tu t’es senti vulnérable. Une femme qui t’aie étalé d’un simple regard. Comme si Dieu avait envoyé un ange sur Terre pour toi. Pour t’arracher aux profondeurs de l’enfer. Et  tu ne sais pas ce que c’est d’être son ange à elle. Et de savoir que l’amour que tu as pour elle est éternel. […] Tu ignores cela parce qu’on ne connaît ça que quand on sait aimer plus qu’on ne s’aime soi-même. Je doute que tu aies déjà osé aimer à ce point. »

 

Le pragmatisme est loin de n’être que le discours statistique, mais comme il est symptomatique dans ton cas, j’ai digressé…

Lettre à un ami

Le pragmatisme maintient le système, justifie ses absurdités, « négocie la longueur des chaines », empêche toute révolte, tout feu, il glace tout espoir de révolution. Il est terne, moche, il accepte et valide, et quand il croit négocier il ne fait que rallonger les chaines.

Ton pragmatisme n’est pas celui-là, mais il participe au même mouvement.

Le pragmatisme a fait de cette gauche d’étiquette une droite au pouvoir. C’est l’art de s’adapter à toute situation et donc ne jamais la remettre en question. Valider la domination en faisant semblant de garder ses idéaux en négociant les miettes.

La real politik ? En novlangue ça veut dire moins de protection sociale, moins de droits, plus d’inégalité en offrande au sacrosaint libéralisme.

Mon ami, ton regard fonctionnaliste et froid sur la politique m’ont fait un peu peur c’est vrai. Tes mots sur Taubira étaient durs et sans reliefs, quand j’en parlais avec chaleur. Tu voulais surement me rappeler qu’il n’y a aucun héros, aucune icône à encenser. Et tu as raison. D’ailleurs, je ne suis pas dupe sur cette ancienne ministre (voir ici) mais j’ai vu ce bout de femme redonner de l’allure à ce terne hémicycle, je l’ai entendu citer avec passion et de mémoire des vers de poètes révolutionnaires quand des vieux beaufs aboyaient leur inlassable prêche. Je l’ai vu faire de la politique avec le cœur. Elle a bossé un peu trop longtemps dans ce gouvernement coupable pour être totalement amnistiable. Evidemment. N’empêche, impossible de nier la bonté et la bonne volonté qui  émane  de cette humaine.

Le monde part en vrille parce qu’il manque de cette empathie qui donne son humanité et ses rondeurs à la politique. Elle a besoin d’être enflammée. Du cœur et de l’amour. C’est toujours ce que j’ai recherché. C’est ce qu’on devrait toujours rechercher. Ça vous éviterait de devoir voter pour des serpillères de la droite extrême par « compromis », pour « faire front » contre le fascisme institutionnalisé du FN (entres autres). Dédicace à Christian Estrosi et Xavier Bertrand. J’ai toujours emmerdé ce genre de compromis. C’est cette façon de voir et de faire qu’il faut changer, c’est cette bien piètre démocratie qu’il faut repeindre. C’est le cœur qui m’a dirigé vers certains « camps », certaines idées et idéologies au détriment d’autres (et suscitant parfois l’incompréhension de certains de mes amis). Mais j’me suis forcément posé la question. Est-ce l’esthétique de la révolte qui me brouille la vue ? La violence chorégraphiée de ces hommes en noirs qui me séduit ? Une sorte de vision bourgeoise de la sédition que je porterais comme une bonne conscience de petit blanc privilégié (ce que je suis) ? Y’a surement eu un peu de ça à un moment. Mais ça n’a jamais été l’ingrédient principal. Et aujourd’hui, mes 20 piges bien révolues, l’euphorie de l’apprentissage révolutionnaire domptée et digérée, j’ai pourtant des convictions bien plus radicales. Merde, j’sais pas où je me situe du coup.. Ultra gauche au carré ? Personne ne sait. Mais tout se tient je crois. Des discours de Taubira aux black blocs en passant par les pages de Bourdieu, les interviews de Chomsky… Du rap de Casey aux Lettres persanes de Montesquieu… Toute une équipe qui se prendrait bien la tête si on la réunissait. Des gens très différents. Et en apparence, des objectifs tout aussi élognés. Mais finalement le même fil conducteur. Il y a souvent bien plus d’amour dans un pavé qui brise une banque que dans n’importe quel discours politique aseptisé. Dans chaque camp il y a des tordus. Mais pour les avoir observés depuis un moment, j’ai choisi le mien sans l’ombre d’un doute. Les barricades n’ont que deux putains de côté. Ca bouge pas.

L’amour est nécessairement lacrymogène. Et déterrer dans les artères de nos villes un cœur de pierres qui pleuvra  sur les sentinelles casquées, ça ne peut que nous faire du bien.

 

LAÏCITE, ISLAMOPHOBIE ET ANTIRACISME

Lettre à un ami

Aucun doute, chacun de nous se réclame de l'antiracisme. Mais à l'heure où le monde n'est qu'un empilement de cases et où les luttes sont segmentées, l'antiracisme fait figure de symptôme exemplaire.


Là encore c'est une cause qui me tient à coeur. Je la pratique depuis une bonne vingtaine d'années. Et là non plus ça ne me donne pas plus de légitimité. Simplement mon regard a évolué sur la façon de concevoir le racisme, sur la façon de le dénoncer. Mes références d'aujourd'hui ne sont plus forcément celles d'hier. Parmi elles, une certaine Caroline Fourest.
Auteure de reportages et d'ouvrages importants et utiles dans le passé, elle n'est devenue qu'une icône fade et labelisée d'un antiracisme "certifié conforme à la République". Pire, obnubilée par l'islam et ses manifestations visibles, ses attaques ne cessent de viser les mêmes cibles. Celles offertes en pâture depuis une bonne quinzaine d'années . Depuis notamment un certain 11 septembre qui a définitivement réécrit les priorités et les réflexions géopolitiques. L'ennemi de l'occident était identifié, il fallait s'en méfier, le traquer où qu'il soit, à l'intérieur comme à l'extérieur. Et comme il était visible et identifiable par la couleur de sa peau, par ses manifestations religieuses (notamment vestimentaires) ça a été simple de le harceler. Sarkozy et ses lieutenants s'en sont donnés à coeur joie. De la croisade de Guéant contre les boucheries hallal aux citations de Patrick Buisson, en passant par les "quand y'en a un ça va" d'Hortefeux et les couinements des anciens du mouvement Occident.. Ce moment donc était critique pour les musulmans mais surtout pour toute personne arabe ou d'origine arabe.

Arrêtons-nous 2 minutes. Il faudrait être délibéremment aveugle ou idiot, ou les 2, pour ne pas voir que derrière cette épidémie de laïcité aïgue et brandit comme un étendard, par des personnes allant de l'ultradroite à la gauche étiquetée, il n'y a qu'une vulgaire désignation de l'ennemi, une honteuse mise au ban, et pour dire les mots, une chasse aux arabes. Car si eux tentent de se prévaloir de tout "amalgame" (mot bien utile et utilisé à toutes les sauces) personne n'est dupe. Les attaques contre les musulmans et l'islam ne sont qu'une manière bien peu subtile de pointer du doigt toute une population,  qui serait pour certains "dangereuse". Cette laïcité pour laquelle tu sembles avoir un profond et relativement récent engouement est tâchée. Détournée, manipulée, érigée en machine à diviser par des personnes qui se moquent bien de la véritable laïcité. C'est à dire celle qui traite toutes les religions de la même manière et qui les relègue au plan qui devrait être toujours le leur: le dernier.

 

Lettre à un ami

Tu sais comme j'emmerde (philosophiquement) toute religion que je n'estime être, dans le meilleur des cas, qu'une espérance autocensurée, bornée par des gestes, des lignes et des prêcheurs. Hormis le fait que dieu n'existe pas, aucune religion, aucune croyance ne devrait interférer dans les affaires concernant les différents pouvoirs. Jamais. Mais quand le stratagème est aussi grossier, se ranger derrière l'étendard d'une laïcité trainée dans la boue à des fins électoralistes relève une nouvelle fois de la collaboration. Et pardonne-moi mon ami, mais évoquer les repas différenciés à la cantine ou le port du voile est une bien piètre et réductrice conception de la laïcité.. Restons sérieux, laissons ça à Valeurs Actuelles. Une sorte de "laïcité" haineuse et excluante.
Cette Caroline Fourest, comme d'autres (dont un certain Charlie Hebdo, désolé), s'est vautrée allègremment dedans, feignant de ne pas voir la mascarade. On rafalait l'ambulance, faisant le jeu des désigneurs d'ennemis assermentés.


Aujourd'hui plus que jamais et l'actualité aidant (...) l'ennemi est identifiable et identifié. De Laurent Wauquiez à Manuel Valls, en passant par ce paillasson d'Estrosi, tout le monde tire dans la même direction. L'ennemi intérieur.

Pourquoi me diras-tu? Il n'y a aucun complot.
Mais comme le dirait l'autre, "Pas besoin de conspiration pour que les horloges donnent toutes la même heure en même temps". Dans les périodes troublées, désigner un ennemi est une technique bien rôdée afin de préserver l'ordre établi. Il y a besoin d'un épouvantail pour faire détourner les yeux et enfumer les réflexions. Autrefois, les Anglais ont joué ce rôle. Il s'agissait de créer un ennemi afin de s'unir contre lui et ainsi renforcer le pouvoir affaibli.

Lettre à un ami

Aujourd'hui ce qu'ils appellent "crises" ont amené leurs instigateurs à désigner de nouveaux ennemis: les Arabes, les Roms, les réfugiés.. Détourner les concepts pour détourner les regards. La théorie du grand détournement. En politique ça s'appelle des contre-feux. Pendant que certains s'épuisent à être plus laïcs que la laïcité, d'autres s'échinent à maintenir les fondations de ce système inhumain et profondément inégalitaire. Les types qui s'octroient des retraites de millionnaires tout en virant 5000 de leurs employés smicards sont les vrais ennemis. Les banques qui pérénisent des systèmes crapuleux sous couverts des failles dans les législations sont les vrais ennemis. Ceux qui veulent qu'on travaille plus en étant moins protégés, qui parlent de "flexibilité" et considèrent le code du travail comme une entrave à leur liberté de traiter l'homme comme une marchandise, sont les vrais ennemis.

Et tu me parles du voile et des repas sans porc? L'ennemi véritable c'est celui qui oriente le militantisme, c'est celui qui brouille les pistes par des stratégies de division, celui qui s'approprie des jolis mots puis les salit (la laïcité). L'ennemi c'est la finance. Merde c'est déjà pris.. mais moi je le pense avec le coeur. Les ennemis ce sont ceux qui ridiculisent l'action militante, qui la détournent de ses vrais objectifs. Personne ne fait une révolution quand chacun soupçonne l'autre d'être dangereux. Le danger c'est le système et ceux qui le pérennisent. C'est la dictature proprette et indicible de la social-démocratie. On s'est mangé les plus grosses carottes que Bugs Bunny n'ait jamais portées.. L'état d'urgence prolongé, la surveillance accrue, les accords d'entreprise, la loi "travail".. Comme des lettres à la poste.


Même ces Panama Papers, affaire monumentale et symptomatique de ce qui pourrit le monde, ne font pas le poids face à une burqa à la gare du Nord.. Plus discrets qu'une victoire de l'équipe de France féminine de handball. Alors si même des personnes comme toi, sincères et réfléchies, humanistes et engagées perdent leur temps et leur énergie dans ces "combats" dictés, prédécoupés et inspirés par le pouvoir en place.. on est pas bien barrés. Imagine alors ce que pensent ceux qui avaient déjà la haine, les racistes par ignorance, les gentils beaufs, les bons soldats. Donner du crédit à toute ces conneries ouvre une voie royale à l'extrême-droite, qui est déjà bien en place. La combinaison de la "crise" et d'une vacuité militante assoit le poids des identitaires de tous bords.

Lettre à un ami

Alors s'il faut lutter contre le racisme faisons-le vraiment. Et d'abord en s'intéressant aux inégalités sociales. Etrangement ces personnes auxquelles on reproche de ne pas respecter la laïcité et qu'on accuse  d'être un danger pour la République, sont souvent les mêmes que l'Etat parque dans les quartiers, qui sont discriminées à l'embauche, qui souffrent des plus forts taux de chomage et que l'on refuse d'intégrer au paysage. D'un coté on ne reconnait pas ces personnes comme faisant réellement partie de la communauté française (ou avec une affligeante condescendance) et de l'autre on s'étonne des les voir chercher des marqueurs identitaires, dans la religion notamment.


Pour être antiraciste il ne suffit pas de dire que la couleur de la peau n'est pas un critère de jugement. Il faut être capable de comprendre ce que les gens vivent, ce qu'ils ressentent, se mettre à leur place. On revient à l'empathie. Ce que des personnes comme Fourest ne sont plus capables de faire (volontairement ou non). Certains s’autorisent à définir  ce que doit être l'antiracisme.
Et il est intéressant de constater que la plupart de ceux qui le théorisent et s'estiment légitimes dans cette tâche sont des hommes blancs, intellectuels ou autoproclamés, cinquantenaires ou presque. Ils veulent confisquer les concepts, définir les souffrances au mépris de ceux qui les vivent. Un vieux réflexe d'ancien colon qui sans même s'en apercevoir définit le racisme et établit un mode d'emploi de la lutte antiraciste. L'ethnocentrisme de l'européen occidental dans toute sa splendeur. Que c'est moche. Alors quand ceux qui vivent le racisme de l'intérieur élaborent leurs propres concepts, jaugent les actes selon leur culture, leur héritage et leur propre grille de lecture et proposent leur vision et leurs solutions, le petit blanc s'offusque. Car il est persuadé que ses valeurs sont forcément les meilleures, puisqu'elles ont toujours été celles des siens et de ses ancêtres (maigre argument). Et il crie alors..au racisme, ne supportant pas qu'un point de vue radical remette en cause sa façon de penser et de théoriser une souffrance que lui-même ne connaitra jamais. Étrange.

On préfèrerait que les victimes du racisme fassent valoir leurs droits dans les cadres qu’on leur a définis. Qu’ils dénoncent mais de manière docile et bien élevée. Qu’ils cèdent nécessairement à la « décence ordinaire ». Et qu’ils soient finalement une nouvelle fois dominés. Comme si mêmes leurs luttes ne leur appartenaient pas.

Lettre à un ami

Dans ce cas le remède n’en est donc pas un, mais simplement un prolongement du mal, encore empli de paternalisme et de colonialisme moderne. Certains voudraient que les populations victimes de racisme acceptent éternellement des règles qui continuent de les opprimer. Qu’ils baissent la tête sans broncher. Comme quand certains braillards demandent aux musulmans de se « désolidariser » lorsqu’un psychopathe fanatique se fait péter au nom de l’Islam.. On est en plein dedans, la morale de la soumission. L’intégration par l’humiliation.

Demande-t-on aux chrétiens de venir se désolidariser publiquement des actes de Breivik  quand il massacre 80 personnes au nom des valeurs occidentales chrétiennes ? Demande-t-on aux chrétiens de se désolidariser des manifestations de la secte Civitas lorsqu’ils viennent prêcher leur haine en toute quiétude dans notre République à géométrie variable ?

Tant qu’elles seront encadrées d’une domination culturelle revendiquée, de réflexe colonialistes non avoués, les apparentes bonnes intentions ne seront que des mauvaises solutions.

C’est dans cette optique que je me suis intéressé à certains membres du Parti des indigènes de la République dont Houria Bouteldja. Tu m’as répondu que ce parti était raciste… Aie. Comme les guimauves de Marianne (lire ici) ou ce docile Thomas Guénolé. Tous biens blancs, privilégiés et persuadés de représenter le Bien. Ces paillassons de chez Marianne avaient d’ailleurs déjà sévi lorsque le pauvre soldat Finkielkrault (bien raciste lui) s’était fait reprendre par une femme dans le public de l’émission Des paroles et des actes. C’était rapide, précis et sans bavure. L’intervention de la jeune femme avait été saluée par de nombreux observateurs. Oui mais voilà, pour Marianne, jamais à cours d’argument pour laver l’honneur d’un vieux réac assermenté, c’était louche, cette femme, française d’origine maghrébine, qui parlait si bien… Il y avait forcément un hic. Et Marianne l’a trouvé (fine limière de garde) : cette femme était « proche du Parti des Indigènes de la République ».. ! La faille, le piège flairé par les traqueurs du bon anti-racisme. (voir ici). Oui cet antiracisme qui ne leur appartient pas fait peur à cette « gauche » mollasse et bourgeoise.

Je reviens à Houria Bouteldja, dont l’ouvrage Les Blancs, les juifs et nous (Vers une politique de l’amour révolutionnaire) a été publié aux éditions La Fabrique. Editions fondées et dirigées par Eric Hazan. Il trie sur le volet les ouvrages qu’il publie. Et j’invite quiconque ici à me démontrer que cet homme (pour qui j’ai un profond respect) est raciste ou incompétent. Voici ce qu’Eric Hazan écrivait sur la 4e de couverture du livre de Bouteldja : « Dans ce texte fulgurant, Houria Bouteldja brosse l’histoire à rebrousse-poil. C’est du point de vue de l’indigène qu’elle évoque le pacte républicain, la Shoah, la création d’Israël, le féminisme et le destin de l’immigration postcoloniale en Occident. Balayant les certitudes et la bonne conscience de gauche, c’est chez Baldwin, Malcolm X ou Genet qu’elle puise les mots pour repenser nos rapports politiques. Aux grands récits racistes des Soral et Finkielkraut, elle fournit un puissant antidote : une politique de paix qui dessine les contours d’un « nous » décolonial, « le Nous de l’amour révolutionnaire ».

J’insiste sur ce point mon ami, car c’est surement celui-ci qui m’a décidé à écrire, comme une pulsion de vérité, une envie de remettre à l’heure les pendules. Oui, puisqu’en qualifiant de « racistes » les propos ou les livres des membres du Parti des Indigènes de la République, c’est finalement moi que tu qualifiais ainsi. Bien-sûr sans animosité et surement sans même y penser. Tu vois, finalement tout mon blabla n’est peut-être qu’une réaction égocentrique… ;-)

C’est avec prétention que je t’invite donc à remettre en cause certaines de tes certitudes dont la soudaineté et la fermeté m’ont surpris. Je sais que c’est paradoxal puisque je me base sur mes propres certitudes pour le faire. Mais comme je l’ai déjà dit, je suis un dictateur sur cette page. Plus sérieusement, je suis pressé que l’on discute à nouveau et qu’on lutte ensemble. Pas sur le voile ni sur le porc à la cantine, ni même encore sur le « bon anti-racisme » mais sur les vrais combats qui se mènent en ce moment contre ce système inégalitaire et inhumain, de la loi travail aux quotas aux frontières, de la dictature libérale aux expériences alternatives, de la violence légale à la violence légitime… Avec amour, connaissance… et empathie ;-)

Bises frère.

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