Territoire occupé
Trois jours que notre rue est squattée par une quinzaine d’estafettes de crs. Trois jours que sur les trottoirs ils parlent fort et rigolent gras, engoncés dans leurs armures, excités d’être en équipe. Trois jours qu’ils bloquent une voie de circulation et gênent les piétons avec un air triomphant. Environ 120 gaillards, pas fâchés d’être entre fauves, qui mangent, qui toisent et qui font des blagues dont on est contents de n’avoir entendu qu’une bribe. On dirait un meeting de sherif texans. Nous sommes en territoire occupé. Eux disent être là pour notre sécurité. Mais devant leur équipement guerrier, leurs fusils d’assault entre les mains, leurs flashballs en bandoullière, leurs gilets remplis de grenades lacrymogènes, c’est la crainte qui s’installe. A vrai dire depuis que cette milice, venue pour interdire on ne sait quoi, et tabasser on ne sait qui (même si on avait bien quelques hypothèses) on se dit que les rues sont bien mal fréquentées et l’inquiétude est palpable. Il y a à peine un an, à quelques pas de là, certains des leurs ont tué Zineb Redouane en toute impunité. Ils ont d’abord menti, protégés par leur ministre délinquant, puis simplement refusé de se soumettre à la justice. Pourtant ça ne les empêche pas de souiller nos trottoirs de leur présence.
Mais on ne baisse pas les yeux. On se souvient. De leurs exactions, de leurs tabassages en règle, des yeux crevés et des mains arrachées. Des morts. Zineb, Steve, Adama. C’était hier, ce sera demain. On doit leur dire qu’on refuse leur "sécurité". On doit leur dire qu’ils sont le danger.

S’il vous plait, ne nous protégez pas.. ça pourrait mal finir.

 

Territoire occupé

La rue était bien plus paisible avant qu’ils débarquent avec leur arsenal et qu’ils annexent le bitume. Curieux et inquiet je demande à un membre de la troupe, un de ceux équipés d’un fusil d’assault semi-automatique HK-G36, la raison de leur présence en masse alors que je ne constate aucune menace à proximité.

Il me répond mécaniquement : « Manifestations d’extrême gauche ».

Hummm..? Je suis perplexe. Je ne vois aucun péril gauchiste immédiat. Je décide donc de faire un tour par derrière, voir ce qui se passe sur la Plaine, territoire occupé, emmuré et bientôt gentrifié, selon les plans sans accrocs de Marseille Habitat (Soleam). J’y découvre une trentaine de personnes, dont pas mal d’enfants, armés de bancs et de tables, de sandwiches et de petits plats locaux. Ils se sont organisés un petit repas dominical peinards, au soleil, pour faire vivre le quartier et entretenir la solidarité. Car, avant d’être un territoire lissé et épuré, la Plaine, est un lieu de convivialité et d’échange, de mélange. Ce qui n’est pas dans l’air du temps. On préfère la froideur d’un café connecté, oreillettes et milkshake disruptif. Bref, je me rends compte que la centaine de soldats surarmés qui occupent ma rue ne sont ici que pour le danger potentiel que pourrait représenter une trentaine d’habitants qui partagent un repas. Et qu’un pique-nique solidaire sur la Plaine, lieu de résistance, et cristalisant donc toutes les méfiances, est désigné comme "une manifestation d’extrême gauche". Et que par conséquent, il nécessite un encadrement policier massif. Nous en sommes là.

Police à outrance, outrancière police. Surveillance des populations à risque. Tout cela n’est pas le fruit du hasard mais résulte de directives politiques claires et précises. Cette démesure policière, le décalage entre l’arsenal déployé et le motif de son déploiement ne sont pas une erreur, mais une volonté. Traquer, fliquer, faire peur à ceux qui ne marchent pas droit. Mais derrière les casques et les gaz, les masques et les matraques, on ne s’y trompe pas. Et Macron, on te voit.

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